Centre Marguerite Duras   MERCREDI 18 mai 2016

 

 

14:30.  TEMOIGNAGE «Histoire de La musica» par Claire Deluca. 

 

La musica (1966) est la première expérience de réalisation cinématographique de Marguerite Duras. Mais avant d'être un film, La musica est une pièce de théâtre. Claire Deluca, créatrice de la pièce en 1965, témoigne à l'aide de ses enregistrements des répétitions, personnels et inédits, de la pensée de Marguerite Duras et du glissement, dès cette époque, de son désir vers le cinéma.   

 

 

Claire Deluca (Comédienne)

Claire Deluca, comédienne et metteur en scène, est la créatrice de cinq pièces de Marguerite Duras. En 1965, Les eaux et forêts  au théâtre Mouffetard et La Musica au studio des Champs-Elysées (prix d'interprétation féminine au Festival de Barcelone). En 1968, Marguerite Duras lui confie la création de Yes, peut-être et du Shaga. Marguerite Duras devenait ainsi, pour la première fois, son propre metteur en scène. Six mois d'une collaboration exaltante, dont Claire Deluca conservera toutes les notes de travail. En 1965, elle adapte et interprête avec Rachel Salik, La Vie Matérielle, à l'espace Kiron. Participe en 1993 aux Rencontres de Cerisy-la-Salle, colloque consacré à Marguerite Duras. Contribue, en 1994, au numéro 14 des Cahiers de la Comédie Française, concernant les répétitions du Shaga, en 1967, à Neauphle-le-château. Octobre 2001, à l'espace Kiron, (Le théâtre de l'intuition de l'absurde dans l'oeuvre de Marguerite Duras), temoignage et interprétation d'après les notes de travail avec l'auteur.

Marguerite écrit: "l'inépuisable richesse de Claire c'est ce génie de l'instant, sans fond, illimité, irrésistible. Devant Claire on devient le spectateur à son tour, illimité et inusable, de ce miracle en constant devenir, la nature".

Claire Deluca est membre du jury du Prix Marguerite Duras. Elle a été l'interprète de Jeanne au Bucher d'Arthur Honegger et Paul Claudel, à l'Opéra de Lyon, sous la direction de Serge Baudo; et à l'Opéra de Buenos Aires (Le Colon), sous la direction de Jacques Pernoo; et de l'Alouette de Jean Anouilh, au théâtre Jorat. Elle aime se souvenir des créations de La Belle Vie de Carlos Queiros Telles; de Papiers d'Arménie et de Quand Fera-t-il jour? de Jean-Jacques Varoujean; La Dame au Violoncelle de Guy Foissy; Héritage d'après Henri James, mise en scène Gildas Bourdet. Au cinéma: Le pull-over rouge de Michel Drach. A la télévision, principalement Un crime de notre temps de Gabriel Axel.

 

 

Notes de Claire Deluca  sur  

la création de  Les Eaux et forêts  en 1965  avec Marguerite Duras


Peu d’auteurs dramatiques acceptent de confier la création d’une de leur pièce à de jeunes comédiens inconnus. C’est pourtant ce que fit pour nous Marguerite Duras en Avril 1965.


« Ecoutez, j’ai bien une pièce pour deux  femmes et un homme, qui est éditée depuis 2 ans. Personne ne me la demande, si vous voulez la monter je vous la donne. Je suis d’accord »


 Cette pièce »toujours libre » c’était « Les Eaux et Forêts », parue dans le n°127 de la N.R.F. de juillet 1963. Elle déconcertait. Ce fut notre chance.
Elle était très différente de ce que Marguerite Duras avait déjà écrit. Elle nous dira au cours des répétitions : »Au fond de tout cela, il y a une intuition de l’absurdité. C’est tout mon théâtre ». Ce fut son premier vrai succès théâtral, 6 mois avant celui Des journées  entières dans  les arbres.


Présente à toutes les répétitions, elle se rendit rapidement compte qu’un déséquilibre existait entre les 3 rôles. Elle fit aussitôt des ajouts importants pour les personnages de l’homme et de Duvivier afin, disait-elle, « que René et Claire aient eux aussi leur explosion ». C’est cette version qui fut éditée chez Gallimard après la création au Théâtre  Mouffetard le 14 mai 1965.


Elle était très attentive et amicale, essayant de nous aider dans l’approche des personnages dont nous étions loin d’avoir l’âge. Elle nous donnait les indications suivantes : « La parole est agissante, surgissante  - Surtout pas de tristesse - Ils ne s’attendrissent jamais sur eux  -  Ils s’amusent même de leur malheur  -  Humeur  de fête, populaire qui emporte tout  - Il y a entre eux une grande tendresse – ils sont dingues, farfelus, ils savent délirer  - Attention c’est le contraire du théâtre psychologique …».


Dans le Nouvel Observateur du 27 mai 1965, Guy Dumur écrivait : « cette nouvelle pièce Les Eaux et Forêts est exactement ce que je crains d’appeler un petit chef d’œuvre. Une espèce de « EN ATTENDANT GODOT FEMININ » féminin (…) d’une drôlerie irrésistible (…) diabolique à force d’intelligence, le texte de Marguerite Duras est d’une admirable simplicité ».
A Paul-Louis Mignon qui lui demandait si elle était heureuse de faire rire pour la première fois, elle répondit : »C’est merveilleux ».Elle aimait rester au fond de la salle et mêler son rire à celui du public.


« Les Eaux et Forêts » est publié aux Editions Gallimard.