Les Lectures d'été - 4 et 6 août 2009

Deux belles soirées ...

Marie-Christine Barrault, Jean Marie Lehec Claire Deluca
Marie-Christine Barrault, Jean Marie Lehec Claire Deluca

La cour intérieure du château est un grand espace à ciel ouvert, encadré de hauts murs,  par lequel communiquent toutes les salles de l’étage noble. Il offre une belle acoustique et l’ombre du soir y vient doucement en août.

 

Le 4 août,  grâce à notre amie Claire Deluca, nous avons présenté la lecture des Eaux et forêts avec dans le rôle de Duvivier Claire Deluca (un rôle qu’elle a  traversé, creusé, approfondi avec talent depuis sa création en 1965)  et pour la première fois, dans le rôle de Sénéchal Marie-Christine Barrault et Jean-Marie Lehec dans celui de l’Homme. Tous excellents acteurs sous les précieuses indications de Claire qui œuvre avec passion à faire connaître ou mieux connaître ce «théâtre de l’absurde» de Marguerite Duras. Ce théâtre joyeux, très drôle, aux personnages inconséquents, inconscients, innocents et pas innocents,  invraisemblables et vrais,  absurdes et pas si absurdes que ça... tout et leur contraire à la fois, comme la vie vraie.  

Didier Bezace, Anouk Grimberg
Didier Bezace, Anouk Grimberg

Le 6 août nous avons présenté la lecture du Square par Anouk Grinberg et Didier Bezace, lequel en 2003, directeur du théâtre d’Aubervilliers, l’avait mis en scène.
Ce 6 août, à Duras, après une préparation, pleine d’invention et de minutie pour apprivoiser l’acoustique et déjouer la brise, la lecture se déroula comme dans le vrai square de la pièce: dans l’ombre du soir venant, obligeant les deux personnages, Elle et Lui à se quitter.
Ces excellents acteurs nous ont donné à entendre et à voir tour à tour, deux personnages qui ne sont rien dans la société et n’ont que le bavardage dans un square pour parole mais l’or qu’ils disent est bien à eux. D’une richesse  inouïe.

 

Pour ces deux lectures, le public après une écoute totale a ovationné longuement ces deux textes et ces acteurs magnifiques et à travers eux le très grand écrivain Marguerite Duras.

Les lectures à voix haute font résonner dans la plus pure sobriété auteur et comédien, texte et voix  et ne laissent de place qu’aux talents.

 Michèle Ponticq

Le mardi 4 août à 21h LES EAUX ET FORETS

Une lecture-spectacle avec


Marie-Christine Barrault  Marguerite Victoire Sénéchal
Claire Deluca    Jeanne-Marie Duvivier
Jean marie Lehec  L’homme
 Durée 1h

La pièce
Les Eaux et Forêts de Marguerite Duras ont été créées le 14 mai 1965 au Théâtre Mouffetard par Hélène Surgère, Claire Deluca et René Erouk dans une mise en scène de  Yves Brainville.

A partir de 1976, la pièce sera reprise dans la mise en scène de Marguerite Duras.

 La mise en scène présentée aujourd’hui par Claire Deluca est nourrie des notes et remarques (conservées précieusement par Claire) de Marguerite Duras, présente à toutes les répétitions.
 
Texte de résumé, écrit par Marguerite Duras
"Le chien de Marguerite-Victoire Sénéchal a mordu un passant sur le passage clouté. Jeanne Marie Duvivier est témoin. Les deux femmes veulent entraîner le passant et le chien à l’Institut Pasteur. Le passant pour d’obscures raisons, trouve qu’il est indigne de lui de les suivre à cet institut. Un passant mordu, c’est une bonne occasion de bavarder, changer d’interlocuteur. On est à tout venant. On est bête, mais intelligent, on trouve que la vie est triste mais qu’elle est gaie, on n’est ni pour ni contre aucun des aspects qu’elle peut prendre. On prend la proie pour l’ombre, on prend l’ombre pour la proie. On n’est pas « toujours prêt » à servir telle cause, autrement dit on est prêt à tout, on est des eaux et des forêts, des deux choses à la fois.

 
Notes de Claire Deluca
Peu d’auteurs dramatiques acceptent de confier la création d’une de leur pièce à de jeunes comédiens inconnus. C’est pourtant ce que fit pour nous Marguerite Duras en Avril 1965.
« Ecoutez, j’ai bien une pièce pour deux  femmes et un homme, qui est éditée depuis 2 ans. Personne ne me la demande, si vous voulez la monter je vous la donne. Je suis d’accord »
 Cette pièce »toujours libre » c’était « Les Eaux et Forêts », parue dans le n°127 de la N.R.F. de juillet 1963. Elle déconcertait. Ce fut notre chance.
Elle était très différente de ce que Marguerite Duras avait déjà écrit. Elle nous dira au cours des répétitions : »Au fond de tout cela, il y a une intuition de l’absurdité. C’est tout mon théâtre ». Ce fut son premier vrai succès théâtral, 6 mois avant celui Des journées  entières dans  les arbres.
Présente à toutes les répétitions, elle se rendit rapidement compte qu’un déséquilibre existait entre les 3 rôles. Elle fit aussitôt des ajouts importants pour les personnages de l’homme et de Duvivier afin, disait-elle, « que René et Claire aient eux aussi leur explosion ». C’est cette version qui fut éditée chez Gallimard après la création au Théâtre  Mouffetard le 14 mai 1965.
Elle était très attentive et amicale, essayant de nous aider dans l’approche des personnages dont nous étions loin d’avoir l’âge. Elle nous donnait les indications suivantes : « La parole est agissante, surgissante  - Surtout pas de tristesse - Ils ne s’attendrissent jamais sur eux  -  Ils s’amusent même de leur malheur  -  Humeur  de fête, populaire qui emporte tout  - Il y a entre eux une grande tendresse – ils sont dingues, farfelus, ils savent délirer  - Attention c’est le contraire du théâtre psychologique …».
Dans le Nouvel Observateur du 27 mai 1965, Guy Dumur écrivait : « cette nouvelle pièce Les Eaux et Forêts est exactement ce que je crains d’appeler un petit chef d’œuvre. Une espèce de « EN ATTENDANT GODOT FEMININ » féminin (…) d’une drôlerie irrésistible (…) diabolique à force d’intelligence, le texte de Marguerite Duras est d’une admirable simplicité ».
A Paul-Louis Mignon qui lui demandait si elle était heureuse de faire rire pour la première fois, elle répondit : »C’est merveilleux ».Elle aimait rester au fond de la salle et mêler son rire à celui du public.


« Les Eaux et Forêts » est publié aux Editions Gallimard.

Le jeudi 6 août à 21h LE SQUARE

 Une lecture à deux voix par


Anouk Grinberg  Elle
Didier Bezace  Lui

 Durée 1h15

La pièce
Bien que intégralement dialogué, Le Square est d’abord publié, en 1955, comme un roman. C'est aussi, remaniée par l’auteur dans une version plus courte, la première pièce de Marguerite Duras, créée le 17 septembre 1956, au studio des Champs Elysées dans une mise en scène de Claude martin avec Ketty Albertini et R.J.Chauffard.
Marguerite Duras rencontre Didier Bezace au début des années quatre-vingt-dix, alors qu'il vient de mettre en scène « Marguerite et Le Président », Émue par le spectacle, enthousiasmée par le travail du metteur en scène, elle lui propose de monter l'un de ses textes. Le projet devra patienter dix ans pour se réaliser.
Didier Bezace a mis en scène Le Square de Marguerite Duras  le 3 janvier a 2004 au Théâtre de la Commune  d’Aubervilliers avec Clotilde Mollet et Hervé Pierre.

 

Texte de résumé.
Une fin d’après-midi, un square. Parmi les bruits des jeux d’enfants, deux inconnus engagent un semblant de conversation. Le temps, l’ordinaire domestique, les bonnes résolutions et les mauvaises habitudes ponctuent leur entretien. Sur le banc s’immiscent pourtant les enjeux essentiels d’un rendez-vous. Dans la lumière finissante, l’homme et la femme construisent mot à mot leur rencontre, et vivent l’intensité d’un rare moment d’existence. Lui, représentant de commerce, promène sa valise de ville en ville. «Je n’avais de disposition particulière pour aucun métier, ni pour une existence quelconque», dit-il. Elle, vingt ans, employée de maison, attend de se marier pour changer de situation. «Rien n’est commencé pour moi, à part que je suis en vie» dit-elle.

 

Notes
«  Si on me demande comment j’ai écrit Le Square, je crois bien que c’est en écoutant se taire les gens dans les squares de Paris. Elle, elle se trouve là tout les après-midi, seule la plupart du temps, vacante, en fonction précisément. Lui, se trouve également là, seul, lui aussi la plupart du temps dans l’hébétude apparente d’un pur repos. Elle, elle surveille les enfants d’une autre. Lui est à peine un voyageur de commerce qui vend sur les marchés de ces petits objets qu’on oublie si souvent d’acheter. Ils sont tous les deux à regarder se faire et se défaire le temps. »
Marguerite  Duras in l’Express, le 14 septembre 1956.

 

« J'ai toujours admiré sa manière de créer l'inédit, de traduire des intuitions si justes, de fabriquer une langue qui va au cœur des choses. Le Square n'est pas comparable à ce qu'elle a écrit par la suite. Marguerite Duras livre dans ce texte une sorte de méditation naïve et profonde sur le temps, la vie et le bonheur, incarnée par des êtres qui nous ressemblent. Elle crée un théâtre de mots. Dans le panorama des écritures contemporaines, s'attacher aux mots, à leur force, à ce qu'ils provoquent, à leurs sens, me paraît une bataille possible ! Ce n'est pas, me semble-t-il, un combat tout à fait insensé… » 
Didier Bezace Entretien réalisé par Pierre Notte pour le Festival d'Avignon 2003

 

Dans le Square, la peur qu’il y aurait à briser cette solitude est contenue par deux attitudes opposées :
chez elle en ne vivant pas encore
chez lui en ne vivant plus ou presque plus.
L’étrangeté du dialogue se nourrit à leur insu, sous la conduite de l’auteur, de ce qui ne peut se dire à ce point directement : ces personnages, bien que très concrets, hésitent à s’incarner eux-mêmes, à se donner trop de corps, trop de réalité, trop de désir et de sensations qu’ils ne pourraient contenir.
Laurent Caillon in le programme du Square Théâtre de la Commune Aubervilliers Janvier 2004

 

Conversation
 C’est parler ensemble, sans chercher à convaincre l’autre, ni à vaincre : le but est de se comprendre, non de se mettre d’accord. Se distingue par là de la discussion (qui suppose un désaccord et le désir d’y mette fin et du dialogue ( qui tend vers une vérité commune). La conversation ne tend vers rien, ou ne tend que vers elle-même. Sa gratuité fait partie de son charme.
André Comte-Sponville.  Dictionnaire philosophique.

 

 « Le Square » est publié aux Editions Gallimard.

Compte rendu de Joëlle Pagès-Pindon paru dans le bulletin de La Société Marguerite Duras : n° 14, vol.1, 2004 au sujet de la mise en scène de Didier BEZACE au Théâtre de La Commune d'Aubervilliers, avec Clotilde MOLLET et Hervé PIERRE
  Ce spectacle nous conduit au coeur de la création durassienne, quand, au "manque à voir" du texte et de la représentation, se substitue la puissance du verbe, dans le miracle d'une présence/absence.
 Sur scène, une chaise de square en fer, un sac et une paire de chaussures posée par terre : c'est l'espace habité par la jeune fille, espace sur lequel l'homme, le voyageur de commerce s'aventurera peu à peu, et qui fait pendant à un amoncellement de chaises en fer au milieu desquelles les deux personnages se retrouveront à certains moments. Face à face, deux solitudes qui parfois se croisent parfois divergent. La jeune "bonne à tout faire", c'est Clotilde Mollet : petite taille, concentré de vie tantôt rêveuse, repliée sur son désir effréné de changer de vie ; tantôt attentive, pleine de bonne volonté pour écouter, tenter de comprendre cet autre en face d'elle ; tantôt acharnée à contester un discours de renoncement, pointant vers lui un index terrible et accusateur. Avec la force oxymorique de cette présence/absence, la comédienne est bien la soeur en folie de ces fascinantes héroïnes durassiennes que sont Claire Lannes,  Lol V. Stein, Anne-Marie Stretter, Emily L.... Et, à travers le dialogue entre la jeune fille et le voyageur de commerce, D. Bezace nous fait entendre, comme en écho, le dialogue entre Claire Lannes et l'Interrogateur. L'homme, c'est Hervé Pierre : vieillissant, un corps lourd dans son imperméable couleur muraille, qui contraste avec la ferveur qu'il manifeste à la jeune fille pour l'assurer de la réalisation certaine de ses espoirs de vie meilleure.
 Didier Bezace donne de la pièce une interprétation différente de celle qu'en avait donnée Christian Rist en 1995 au Théâtre du Vieux Colombier : quand Rist privilégiait la comédie du langage social, les "tropismes" à la façon d'une Nathalie Sarraute, Bezace prend le parti de nous restituer la chair du verbe durassien, la force poétique d'une " parole qui, si elle ne se retenait pas, se briserait dans un cri " (Maurice Blanchot, Le Livre à venir). Un grand moment de théâtre...
 Joëlle Pagès-Pindon. 2004